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Entirely Clueless
6 mars 2010

Dans ma gueule

Une petite vieille dame paumée,

agressive, extrêmement triste, enfoncée dans son fauteuil roulant, qui passe son temps à insulter le monde  (= "merde, charogne, salope, menteuse, fous le camp, mais qu'elle est con celle-là, vieux con") --- ce jour-là, je viens la réveiller, tout doucement, je commence à lui parler, à répondre à ses questions (toujours les mêmes - je suis où, je vais où, je fais quoi, et vous madame ?) et pi elle me prend la main et pi la lâche plus.
- Madame K, si vous êtes réveillée et que vous avez envie de faire votre toilette, il faut que j'aille chercher ma collègue.
- Vous revenez après ?
- Oui bien sûr, madame K, on vous laisse pas tomber, je reviens avec ma collègue et on va vous pomponner.
- Oh mais c'est pas vrai ça.
- Si, promis. Je reviens. Je vais juste chercher ma collègue, je reviens. Ne vous inquiétez pas.
- Vous revenez hein?
Elle serrait fort. Me suis détachée puis ai rapidement trouvé ma collègue, de sorte qu'elle n'a pas eu le temps d'oublier la promesse faite (et sa demande) - "Vous voyez, je suis revenue" "Oui, madame" dit-elle dans ce qui s'approche le plus d'un sourire.

Une jolie mamette souriante

surtout quand elle a mal quelque part, comme pour s'en excuser... Elle donne l'impression qu'elle va se remettre un jour, qu'elle va sortir. Mais l'infirmière a dit : "hé oui mais elle a la maladie X et elle sortira jamais de là". De fait, on voit mal comment un Retour À Domicile serait possible ; ses conversations sont certes censées et agréables, mais quand elle se lève de son lit pour aller fermer une porte, oubliant dans le même temps qu'elle est quasi-complètement handicapée des jambes, ben elle s'éclate par terre, et ses attelles et PTH témoignent que c'est pas la première fois (remarquez c'est peut-être une preuve d'endurance... hun). Et aujourd'hui =
- Oooh, vous avez de belles dents alors, blanches, qui ressortent, et pi quand vous souriez !
- Merci, c'est sûrement parce que je fume pas et que je bois pas de café...
- Ha ! Vous êtes sans défaut alors.
- Oh si, mais pas ceux-là !
(Ça l'a fait rire et sa volonté très nette d'être gentille avec moi, au-delà du compliment bien agréable, m'a fait bêtement plaisir)

Une belle dame âgée,

dépressive, très lente. Et vraiment très dépressive. Pinaille sur tout, sans que ce soit de l'exigence, forcément. Ce que les gens ont, honnêtement, du mal à saisir. Elle s'est mis tout le monde à dos et j'ai assisté en direct à l'élaboration d'un mensonge sur son compte - un mensonge qui ne se voulait pas tel, le genre de trucs qu'on dit n'importe comment juste parce qu'on n'a pas compris, et qui détourne irrémédiablement la parole véritable. C'est un amoncellement de choses plus ou moins fausses, issues d'interprétations négatives de tout ce qu'elle dit (je le sais puisque je suis là pour entendre, ce n'est pas un préjugé) dans son dossier. Hier elle me dit, après une conversation :
- Alors, on va être un peu amies, maintenant !
Je veux pas être aimée, je veux pas que sa situation se détériore, elle s'enfonce et décrépit sur pied et ce qu'on peut dire ne change rien. Bien sûr qu'elle est dérangée - mais si elle était saine d'esprit elle serait pas dans ce service, c'est une évidence... Ça m'agace. Je crois que la dépression, la vraie de vraie, insupporte beaucoup de monde, tout simplement. Dommage, on voit vite que c'est une femme intelligente et foncièrement pas de mauvais fond. Et de toute façon, les photos des enfants, de sa famille qui l'aime, et les petits mots tout mignons me rendent incapable d'indifférence.

Une nouvelle arrivée hémiplégique

va à la messe organisée dans la chapelle de l'établissement tous les jeudis. C'est une mamie jamais souriante, pas méchante mais qui exige beaucoup de nous, sonne très souvent, et son handicap qu'elle supporte mal la rend souvent de mauvaise humeur. Elle rentre de la messe, la dernière fois, et :

- J'ai bien prié pour vous. Vous vous occupez bien de moi, j'ai prié pour vous tous qui vous occupez de moi, c'est tout ce que je peux faire, qu'est-ce que je peux faire d'autre ? Rien alors, j'ai prié pour vous. J'espère que ça portera.

D'aucuns trouveraient ça touchant, moi je suis juste sûre que c'est une vraie action, concrète et opérante, de remerciement, la seule possible pour elle - selon elle.

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